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Voyages de Hollande

Andreas Nijenhuis, Les ‘Voyages de Hollande’ et la perception française des Provinces-Unies dans la première moitié du XVIIe siècle, Amsterdam, Vrije Universiteit, 2012 (tirage effectué par Amsterdam University Press) [Pays-Bas]

Le premier tirage de la thèse, effectué par Amsterdam University Press selon l’usage académique néerlandais, est disponible à la vente pour 50 € (port en France métropolitaine compris). Pour commander un exemplaire, merci de me contacter.

Les « Voyages de Hollande » et la perception française des Provinces-Unies dans la première moitié du XVIIe siècle

Cette thèse est le fruit d’un double intérêt : pour la France, et pour les Provinces-Unies. Il est né avec la découverte, à travers l’histoire et à travers mon cheminement personnel, de ces deux pays essentiels à l’Europe du XVIIe siècle.

Les Provinces-Unies sont parfois présentées comme le double spéculaire de la France, son exact contraire. La grande monarchie aristocratique, fille aînée de l’Église catholique, s’opposerait en tout à la petite République confédérale, bourgeoise, marchande et calviniste.

Et pourtant, de la fin du XVIe aux lendemains de la Paix de Westphalie, les deux pays ont entretenu d’étroites relations. L’existence d’un ennemi commun, l’Espagne, est même à l’origine d’une alliance de plus d’un demi siècle.

Comment, dès lors, analyser la perception française des Provinces-Unies ?
Le miracle de la naissance d’un nouvel État, aux frontières mêmes de la France, fascine rapidement. L’éclosion d’une expression originale de la civilisation européenne attise les curiosités. De ce fait, les Provinces-Unies deviennent dès leur apparition une destination de voyage.

Or, au XVIIe siècle, le voyage change de nature. L’ancien voyage « d’expérience », issu des pèlerinages du Moyen Âge, est remplacé par le « voyage éducatif » de la jeunesse bien née.
Qui se rend aux Provinces-Unies, et pourquoi ? Les motivations du « voyage de Hollande » sont très variées dans cette période de guerre persistante. La solidarité religieuse joue pour les nobles calvinistes, comme le duc de Rohan ou Turenne. Leurs voyages sont des actes militants.

D’autres entreprennent un voyage plus traditionnel, comme le pèlerin Bénard, qui, rentrant de Terre Sainte, est dérouté vers la République calviniste.
Le Laboureur, Joly et Le Gouz font, eux, le déplacement pour venir admirer la nouvelle République.

Comme le voyage demeure long, cher et parfois dangereux, et qu’il gagne une vocation éducative, il est d’usage de tenir un carnet de voyage. Souvent, le texte est édité. De même, des guides de voyage apparaissent, pour accompagner le voyageur, et pour satisfaire la curiosité du voyageur de cabinet. Ce genre littéraire prend son essor dans la première moitié du XVIIe siècle.

La nouveauté du genre laisse une certaine latitude aux auteurs. Ces sources sont par conséquent riches en enseignements, sur la société de départ comme sur le pays visité. Elles apportent un éclairage original et à « hauteur d’homme » (c’est le cas de le dire, la femme reste quasi absente).
En complément du corpus littéraire, une riche iconographie fournit un contrepoint. Le croisement des sources mène parfois à de nouvelles perspectives. Comme pour la comparaison du récit de Joly et du tableau de Saenredam de St-Jean à Utrecht.

Une variété de sujets passionne les voyageurs : l’altérité religieuse, le fonctionnement confessionnel et politique, l’activité économique et la vie intellectuelle et artistique.
Dans le contexte d’une Europe confessionnelle, la question religieuse est primordiale.

La perception du fait religieux n’est pas univoque. Certains Français se pressent aux Provinces-Unies par vocation. Ces voyageurs « militants », calvinistes et solidaires, adhèrent à l’État confessionnel, y voyant, comme Rohan, une création d’État au sens machiavélien, et en Maurice de Nassau un prince idéal.
Ces voyageurs approuvent le sort réservé aux confessions en dehors de l’Église Publique calviniste. La légitimité de la lutte confessionnelle ne fait pas de doute pour Turenne. La jeune recrue, engagée dans l’armée de son oncle Frédéric-Henri d’Orange pendant le siège et la prise de Bois-le-Duc en 1629, relate les mesures appliquées aux vaincus catholiques par les conquérants calvinistes. Le démantèlement de l’Église catholique apparaît clairement dans son récit épistolaire.

Sans adhérer au calvinisme, d’autres voyageurs souscrivent à l’idée monarchomaque d’une résistance légitime contre la tyrannie espagnole, armature idéologique de la Révolte. Tous, sauf le pèlerin Bénard, acceptent la primauté politique et admettent par conséquent l’alliance entre la monarchie française et la République.
Élément identitaire par excellence pendant l’Ancien Régime, la question de la coexistence religieuse fascine également. La domination de l’espace public par l’Église calviniste n’échappe à aucun voyageur. Ce d’autant que les édifices religieux font partie des étapes obligées du voyage. Les visiteurs ont l’occasion d’entrer en contact avec plusieurs confessions. Le culte juif à Amsterdam, par exemple, captive les observateurs qui ont là l’occasion de voir un culte absent de France depuis le Moyen Âge.
La tolérance de l’hôte pour une messe clandestine, une nuit de Noël 1645, une messe célébrée en plein champ, sous le regard narquois de calvinistes curieux, ou encore le passionnant exemple de la répartition de l’espace au sein même d’un temple, entre les anciens maîtres des lieux et les nouveaux, le montrent : l’expérience « immersive » du voyage donne une impression très vivace d’une organisation confessionnelle fort complexe.

La situation néerlandaise, légalement en-deçà de l’Édit de Nantes, semble souvent excéder les libertés françaises dans la pratique. La spécificité de la République réside ici en une politique religieuse qui se situe entre les rigueurs restrictives de la loi, et la tolérance pragmatique. La liberté de conscience, parfois perçue –à tort– comme une liberté de religion, est identifiée dans tous les récits.
Territoire carrefour, les Provinces-Unies ne sont pas seulement le lieu de rencontre de confessions, ou enjeu militaire ; elles sont également plaque tournante des échanges commerciaux et intellectuels.
Les visiteurs français rendent tous compte de l’urbanisation, élément précoce de modernité du pays. Tous les récits et guides suivent un carcan descriptif, où la ville d’étape occupe une place centrale ; le paysage ou la nature sont quasi absents des récits.

L’intense trafic frappe les voyageurs. Les communications maritimes et fluviales, les infrastructures, ports, places du marché, et l’exotisme de certains produits de la maison des Indes, suscitent la curiosité. Amsterdam impressionne tous les Français : promesse d’avenir dès 1600 pour Rohan, « Marché du monde & la Boutique des Raretez de tout l’Univers » pour les voyageurs plus tardifs.
Les villes sont également au cœur de la République des Lettres. Le tourisme mondain se double du voyage érudit. Les lieux du savoir sont une curiosité propre au pays. Les rencontres avec des érudits, professeurs d’université, mais également, fait extraordinaire, une femme, Anne Marie van Schurman, et un rabbin, Menasseh Ben Israël, sont décrites avec force détails. Ces rencontres ont un caractère interconfessionnel, mais demeurent avant tout intellectuelles et érudites.

Au-delà de cet âge d’or des rapports franco-néerlandais, le contexte politique entre les deux pays s’assombrit. La perception favorable des Provinces-Unies, résisté-t-elle au changement d’alliance intervenant sous le règne de Louis XIV ? Cela pose la question de la longue durée des représentations. Si le discours officiel change radicalement en France dès la Guerre de Hollande, comme en témoigne l’iconographie de la Galerie des Glaces de Versailles (pendant glorificateur de l’Hôtel de Ville d’Amsterdam), les récits et guides de voyages de l’époque de l’alliance continuent d’être édités. Le guide le plus influent de l’époque, les Délices de la Hollande de Parival, ouvertement panégyrique, connaît même un succès éditorial jusqu’au XVIIIe. Cette « inertie » de la représentation, fait apparaître un décalage entre l’image officielle, négative, cultivée par la monarchie française, et celle, parfois bienveillante, des textes viatiques.

Ainsi, malgré tous les efforts d’ériger des barrières, la « Hollande » reste une destination de voyage prisée par les Français « curieux ». Lorsque Maxime Du Camp se rend aux Pays-Bas au milieu du XIXe siècle, il découvre « des merveilles artistiques, un peuple intelligemment ingénieux et de beaux paysages. » S’adressant à son ami Gustave Flaubert, il l’incite à faire le voyage : « Quand vous vous ennuierez à Paris et que vous aurez quinze jours de liberté, venez en Hollande, cher ami ; c’est le pays le plus curieux, le plus charmant et le plus lointain qu’on puisse parcourir sans sortir d’Europe. »