2010

Chrétiens & Sociétés

2010

Andreas Nijenhuis, « Jean-Yves Champeley, Organisations et groupes de jeunesse dans les communautés d’entre Rhône et Alpes (XVIe - XVIIe - XVIIIe siècles), 599 p., Thèse pour le doctorat d’histoire soutenue devant l’Université Lumière – Lyon 2 le 2 décembre 2010. Sous la direction du professeur Jean-Pierre Gutton », in : Chrétiens et sociétés, 17/2010

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Organisations et groupes de jeunesse dans les communautés d’entre Rhône et Alpes (XVIe - XVIIe - XVIIIe siècles)

Le jeunisme de notre société laisserait supposer un engouement de longue date pour l’histoire de la jeunesse. Or, pour l’époque moderne, il n’en est rien. En dehors des textes généraux de Philippe Ariès, Georges Duby, Robert Mandrou ou Robert Muchembled, et la thèse sur les bachelleries poitevines de Nicole Pellegrin datant de 1981, la question des modèles d’organisation de la jeunesse demeurait largement ouverte. La thèse soutenue par Jean-Yves Champeley (professeur agrégé à l’université de Savoie) défriche, pour le pays varié qui s’étend de la Savoie aux portes de la Provence, la thématique des modes d’existence de la jeunesse collective au sein de cette parcelle de société d’Ancien Régime.

Contrairement à l’idée reçue, les bachelleries, abbayes laïques, confréries joyeuses et autres royaumes de jeunesse, où les jeunes entre 13 ans environ et l’âge conjugal se retrouvent, ne sont pas, dans ce territoire, des sociétés institutionnalisées dotées de droits collectifs précis et parfaitement intégrées et reconnues de leurs contemporains.

S’inscrivant dans la longue durée, l’étude s’appuie, à défaut de sources propres à ces « institutions », sur une vaste enquête documentaire réalisée patiemment dans les archives départementales et communales de sept départements français. Des délibérations consulaires, des archives judiciaires (sénat de Chambéry, parlement de Grenoble, présidial de Valence), et des minutes notariales consultées en contrepoint, ressort une perspective tout à fait nouvelle sur ces organisations communautaires et les codes et rituels collectifs qui les animent.

Organisée en quatre parties thématiques, la thèse démontre clairement que les organisations de jeunesse n’étaient, dès le XVIe siècle, jamais totalement juvéniles. Ces structures « joyeuses » des communautés urbaines et rurales associent toutes les catégories d’âge et de sexe (voire, un temps, de religion dans certains cas). La direction en revient aux hommes mariés, issus de l’élite locale. Ainsi, la sociabilité juvénile est supervisée par les autorités, ne laissant finalement que peu de libertés à la jeunesse.

En dehors des aspects classiques des fêtes et des violences juvéniles (notamment à l’occasion du carnaval, des charivaris, des mariages, et des rixes inter-villageoises), l’étude réserve une place importante à la dimension martiale des organisations de jeunesse. L’enrôlement dans les milices provinciales, cet « impôt sur la jeunesse des villages » (p. 379), s’accompagne de ses propres rituels et d’une solidarité collective ; le conscrit de la Révolution, bien connu des historiens, semble l’héritier des garçons « miliciables » du Siècle des lumières, laissés dans l’ombre par l’historiographie.

Dès le règne de Louis XIII, les organisations juvéniles sont sous pression. L’État royal renforce sa maîtrise de la vie communautaire, au détriment des anciennes pratiques de sociabilité. L’Église catholique tridentine cherche également à réduire le tumulte juvénile en vertu de la morale ; les Réformés craignent quant à eux l’influence catholique au sein des abbayes laïques. Malgré une résistance dont les archives judiciaires conservent parfois les traces, les institutions communautaires ont pratiquement disparu dans les parages du Dauphiné vers 1680.

Au XVIIIe siècle, quelques usages juvéniles subsistent à la campagne, faisant survivre tant bien que mal des manifestations collectives ancestrales dans un cadre informel. Le temps des prérogatives singulières de la jeunesse semble révolu.

Le jury a apprécié les « démonstrations très neuves », découlant de la solide connaissance de l’aire, du sérieux de l’enquête archivistique, et de la finesse de l’analyse. Le recueil de cinquante textes retranscrits en annexe est également salué.

En vue d’une publication unanimement souhaitée, le jury préconise une introduction davantage centrée sur la méthodologie (présentée dans le texte actuel dans la première partie, essentiellement historiographique) et un remaniement de certaines parties (et notamment la suppression du chapitre consacré au marquis de Sade, jugé éloigné du sujet).

Les professeurs se sont déclarés très satisfaits de la thèse de Jean-Yves Champeley et lui accordent la mention très honorable avec les félicitations.